L’Été Marseillais 2024

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Depuis 2020, la Ville de Marseille déploie chaque été une politique ambitieuse visant à garantir un accès équitable aux loisirs, à la culture et aux sports pour tous les habitants, à travers le programme et festival:
« L’Été marseillais ».

 

Cette initiative propose des activités culturelles ouvertes à tous sur l’ensemble du territoire, avec des aménagements spécifiques, tels que la piétonnisation du Quai du Vieux Port.

 

Pour son édition 2024, organisée dans le contexte de l’accueil des Jeux Olympiques, la municipalité a intensifié cette démarche en collaborant avec l’agence BPM et Maison Gutenberg. Ensemble, nous avons travaillé à la programmation et à la coordination de cet événement culturel et estival.

 

Nous avons proposé une programmation culturelle variée alliant concerts éclectiques sur la scène flottante du Vieux-Port, spectacles pour le jeune public dans les parcs, soirées thématiques (stand-up, danse, cirque) et cartes blanches à des collectifs marseillais dans les musées de la ville. Sur la scène flottante du Vieux-Port, de grands noms se sont succédé. Des ateliers de médiation artistique et la mise à disposition de bibliothèques numériques ont complété cette offre inclusive, tandis que 83 représentations artistiques, ont célébré la diversité culturelle et attiré un large public.

 

Cette édition a mis en lumière les valeurs de Marseille – diversité culturelle, hospitalité et ouverture – dans une démarche inclusive et respectueuse du développement durable. Le thème artistique, « Marseille, Cœur de Méditerranée », incarnait cet esprit en renforçant les liens avec Oran, Barcelone, Athènes, Le Caire, Beyrouth, Naples et Tanger. La programmation a valorisé les artistes et structures locales tout en accentuant le rayonnement international de la ville. 

 
Crédit photos: Ville de Marseille

Rencontre avec Kenia Almaraz Murillo et Elliott Causse

Kenia Almaraz Murillo et Eliott Causse, pour Maison Gutenberg
Kenia Almaraz Murillo et Eliott Causse, pour Maison Gutenberg et SYTRAL Mobilités
Kenia Almaraz Murillo et Eliott Causse, pour Maison Gutenberg et SYTRAL Mobilités

Kenia Almaraz Murillo et Elliott Causse © Nano Ville

 

Quand l’art contemporain dialogue avec l’urbanité et la tradition


En ce mois de décembre 2024, le métro lyonnais célèbre les 50 ans de mise en service du premier tronçon de la ligne C. SYTRAL Mobilités, en partenariat avec Maison Gutenberg, déploie plusieurs propositions culturelles et artistiques pour fêter cet anniversaire. Parmi celles-ci, les artistes Kenia Almaraz Murillo et Elliott Causse ont été invités à réaliser une œuvre d’art murale à la station Hôtel-de-Ville et un habillage artistique d’une rame de métro.


Kenia Almaraz Murillo et Elliott Causse, deux artistes diplômés des Beaux-Arts de Paris, fusionnent depuis 10 ans leurs univers dans des créations In situ mêlant géométrie, couleurs andines et dynamisme urbain. Dans des fresques murales pétries de symboles et de réflexions sur les flux humains et énergétiques, leur collaboration explore les frontières entre tradition textile et modernité architecturale. Cette année dans le cadre des 50 ans de la ligne C, le binôme intervient à Lyon avec un projet qui tisse des liens uniques entre l’histoire, le mouvement, et l’urbanisme. Rencontre croisée avec les artistes.


Louise GrossenVos univers artistiques dialoguent ponctuellement depuis dix ans. Que représente ce projet de fresque dans le métro lyonnais pour vous ?

 

Kenia Almaraz Murillo — Ce projet est un aboutissement. On s’est toujours dit qu’il serait incroyable d’intervenir dans un métro à deux, c’est une réflexion que l’on mène depuis longtemps. En discutant du projet avec les équipes, on s’est rendu compte de l’évidence et de la symbolique. Évidemment, le rapport au patrimoine des tisserands, au fil, qui est central à mon travail, mêlé à l’idée des flux, des réseaux, des cartographies, et à l’univers du transport qui entourent le travail d’Elliott.


Elliott Causse — On a fait beaucoup de fresques entre la Bolivie, où est née Kenia, et la France. J’avais aussi créé dans un métro en 2015 à Kyoto. J’étais invité par Tadashi Kawamata, qui m’a beaucoup apporté et qui a accompagné un virage décisif dans mon travail lié aux flux. Dix ans plus tard, on se retrouve à créer dans un métro français !


Elliott, le monde du graffiti duquel vous venez, a glissé naturellement vers celui de l’urbanisme, pourquoi ?

 

Elliott : Le livre City of Quartz de Mike Davis sur l’urbanisme à Los Angeles a été crucial. Comment l’urbanisme a été pensé pour gérer la gestion des foules, les déplacements urbains… Il y a des choses qui font échos au graffiti : la notion du déplacement dans la ville quand tu graffes, la cartographie, un geste d’écriture aussi. J’aime documenter les déplacements d’énergie, d’électricité, la plomberie m’influence aussi.


Le travail du tissage de Kenia et les créations murales d’Elliott semblent fusionner naturellement alors même que ces deux disciplines semblent plutôt éloignées…


Kenia : Elliott m’invite dans son univers de l’immersion in situ, de la peinture murale, de l’espace au niveau architectural, mental. Je sors un peu de ce rapport au métier à tisser plus contemplatif. Il y a un travail assez logistique de géométrie, de symétrie, et en même temps, un côté organique et coloré. Les couleurs vives viennent de mon univers du textile andin, des communautés boliviennes.


La technique du tissage vous a été transmise en France.

 

Kenia — J’ai été formée par l’artiste contemporaine Simone Prouvé. C’était fort comme rencontre parce que outre l’apprentissage, la transmission, elle a permis aussi de réactiver, de l’autre bout du monde, mes racines traditionnelles et familiales du tissage. Face au fil, tu as besoin de mettre de l’ordre. Il faut faire une balance entre lignes verticales et horizontales, il y a une sorte de concentration constante qui fait que tu oublies l’espace-temps. Puis je me suis prise d’obsession pour les couleurs et la géométrie du textile andin. Il y a toujours un horizon coloré avec une trame. Ici, je viens travailler à la brosse pour créer des sortes de vibrations, des fréquences. J’ai accentué un motif qui fait écho à la crémaillère particulière de la ligne C. Pour les couleurs, on retrouve le rouge de manière assez évidente sur mon travail, puis le bleu, et là, on travaille sur l’orange un peu électrique en écho aux anciennes couleurs du métro.


Le processus créatif de cette fresque rappelle la structure du palimpseste avec son empilement de lignes et de significations…

 

Elliott — On a posé la ligne horizontale avant l’arrivée de l’orange. Les deux lignes rouges renvoient aux rails. Kenia apporte une sorte de rythme cinétique par son geste, un peu comme s’il y avait des fils.

 

Kenia — Oui, une écriture. J’ai un rapport aux lignes horizontales. Je pose cette ligne comme une sorte de colonne vertébrale. Ensuite, Eliott apporte l’énergie verticale et des flux, on tisse la ligne pour écrire une sorte de langage abstrait, à la fois géométrique, contrôlé, mais en même temps futuriste et en écho aux fréquences de la lumière… On a une philosophie de création In situ qui s’adapte énormément au lieu qui est donné, à l’énergie qui se dégage des espaces.

Vous travaillez les lignes à main levée, ce qui nécessite un contrôle de la respiration, du corps. Et puis, il faut faire vite : pour cette fresque, vous devez travailler de nuit, sur les quelques heures où le métro ne circule pas.

 

Elliott — C’est une chose qui me restait du graffiti, le hand style, sorte de calligraphie aussi. Tu libères une énergie comme dans le sport. Tu te mets en condition où tu vas donner le meilleur de toi-même pendant 10 secondes. En termes de gainage physique, quand tu es sur un escabeau, il faut être en contrôle total. Mais avant d’arriver à ce geste-là, il y a tout un processus d’installation à mettre en place, puis le geste doit être précis, efficace, avant que le métro redémarre.

 

C’est aussi une façon de remettre le geste humain au centre, à l’heure où la technologie seconde de plus en plus le geste artistique ?

 

Elliott — J’ai l’impression que les gens sont parfois lassés du côté IA, robotique de l’art… Il y aurait sûrement une manière plus précise de tracer ma ligne, mais j’aime qu’il reste le geste et la vibration imprévisible de la main pour ce que l’on veut raconter.

 

Kenia — C’est une histoire de dosage. C’est l’excès qui peut faire peur. Il ne faut pas oublier la notion principale qui est de juste exister en harmonie avec ce que l’on trouve autour. Dans le tissage, il y deux énergies contradictoires entre ce que la terre donne, et ce que l’homme crée.


Vous adaptez le geste à l’histoire du lieu qui accueille votre travail.

 

Kenia — Chaque geste, même s’il est répétitif, a son propre ADN. Ça crée une sorte d’alchimie sur place. C’est fascinant comme Elliott n’a pas peur de l’espace, au contraire, il l’embrasse. Moi, dans un espace, je vais m’attacher au rapport énergétique. Quelle est l’histoire du lieu ? De quoi l’endroit est-il imprégné ?

 

Vous évoquiez le rapport cinétique. Comment intervient-il dans cette proposition artistique ? Qu’attendez-vous des passants dans leur interprétation ?

 

Kenia — Ce qu’on souhaite avant tout, c’est que les personnes se sentent bien accompagnées. C’est un espace public, on offre une petite pause ludique dans le déplacement, sans prise de tête. Il y a toujours un rapport cinétique : quand on se déplace, les lignes bougent forcément par le changement de perspective. Dans le métro, il y a un lien direct avec le flux, ça nous suffit d’être dans ce rapport-là assez simple avec les gens. Si l’envie leur prend ensuite de creuser notre travail et d’ouvrir les pistes de lecture, libre à eux.


Elliott — On a vocation à décloisonner les pratiques, à se rapprocher de l’urbanisme et de l’architecture qui inversement peuvent avoir des aspects artistiques. Dire qu’il y a les artistes qui font les tableaux dans les ateliers et qu’il y a les architectes qui font les bâtiments, c’est une réflexion peu porteuse de positivité. Il y a plein d’artistes qui  s’épanouissent dans des espaces publics. La société a énormément d’entrées pour faire de l’art.

 

Vous semblez très sensibles à la responsabilité qu’implique la création dans l’espace public. 

 

Kenia — Oui, il y a une responsabilité de ne pas laisser sa psyché d’artiste… torturée ! Créer un objet qui soit porteur de bonnes énergies pour le grand public. Il peut exister une forme de chaos dans la construction, la destruction constante. Mais notre propos personnel, c’est avant tout de partager une bienveillance à travers les lignes pour tranquillement se laisser embrasser.

 

— Interview réalisée par Louise Grossen pour Maison Gutenberg



L’art, un jeu d’enfant ?

Atelier d'argile de Alexia B. pour Maison Gutenberg

© Atelier « Toucher et sculpter l’argile » de Alexia B.

 

Depuis 2023, Maison Gutenberg se met au service des tout-petits en crèche afin d’accompagner l’éveil à l’art, par l’art. À Lyon et Marseille, les artistes Alexia B, Stéphanie Buiguez, Charlotte Develter et Henri Lamy ont imaginé, chacun et chacune à leur manière, un dispositif immersif adapté aux bébés pour nourrir les sens et accompagner cette première plongée dans le monde artistique, favorable à la construction cérébrale et à l’équilibre émotionnel.

N’est-il pas captivant de regarder un bébé regarder ? Ou bien d’observer un bébé en train d’écouter ? C’est le postulat de la psychologue clinicienne spécialisée dans la petite enfance Sophie Marinopoulos — qui s’intéresse à l’art et la culture chez les tout-petits. Les bébés sont des êtres de culture qui doivent être nourris de ce monde du sensible qui les alimente et qui les aide à grandir. Bien avant le langage, c’est par la sensorialité que les petits prennent lien avec l’extérieur. Loin de l’idée d’en faire un bébé compétent — mais bien un enfant curieux et heureux, l’éveil artistique en crèche se place là. C’est au travers de résidences d’artistes dans neuf crèches différentes, réparties entre Lyon et Marseille, que Maison Gutenberg poursuit le projet de décloisonner les frontières entre l’art et les publics, en proposant aux enfants en bas âge une rencontre privilégiée entre artistes, enfants et personnels. Le personnel se voit endosser un nouveau rôle auprès de l’enfant, faisant alors équipe avec lui pour créer un type d’interaction par l’art qui favorise une relation basée sur l’échange, l’écoute, et la co-création. L’accompagnant devient un guide bienveillant qui soutient l’expression individuelle des tout petits.


Admirative de la capacité des bébés à se saisir des expériences qu’on leur présente, à reconnaître la beauté d’un geste, le rythme d’un morceau de musique, la douceur d’un matériau, Maison Gutenberg s’est alliée d’artistes concernés par le domaine de l’enfance et de la médiation culturelle pour développer un programme d’ateliers artistiques protéiformes et inspiré de l’art contemporain. Pas à pas, au travers des thèmes de la lumière (celle qui éclaire, par définition celle qui rend visible le monde) et de la trace (qui s’inscrit dans une sphère plastique en sollicitant la matière à travers plusieurs formes et techniques), les enfants guidés par l’artiste plongent dans une découverte poétique du monde qui les entoure…


Images, son, matières et textures — Alexia B, Stéphanie Buiguez, Charlotte Develter et Henri Lamy usent de tous les médiums comme points de départ à la création, au jeu et à l’expérience des émotions. Convaincus que ces petits humains qui ont besoin de narratif n’en sont pas moins exigeants, un point d’honneur est mis à la qualité du matériel proposé. Alexia explique d’ailleurs : “L’idée est de les encourager à avoir leur propre créativité en leur donnant les moyens d’explorer — avec quelques éléments, souvent issus du recyclage, sans trop en mettre car l’enfant ne saurait pas où donner de la tête. L’enjeu est aussi de le surprendre avec du matériel qu’il n’a pas l’habitude de voir, en détournant l’objet de son utilisation initiale. On ne travaille pas sur tables et chaises, mais au sol, sur de grands formats, pour respecter le développement de l’enfant qui à ce stade se joue dans la motricité. C’est un espace qui leur appartient.”


C’est une pédagogie bien particulière que l’artiste privilégie. Ici, l’adulte n’est là que pour accompagner. Il devient observateur de la scène : “on n’intervient que s’il y a danger, ou pour encourager l’enfant dans son exploration. Il peut d’ailleurs y avoir des moments de flottement au début d’un atelier, c’est normal, le temps que le groupe se saisisse des médiums proposés. L’enfant est un chercheur, et c’est en cela que le fonctionnement de l’artiste est similaire — dans l’utilisation détournée de l’objet, dans le test, dans la recherche… le rendu ne m’intéresse pas.”  Dans cette dynamique inspirée de l’art contemporain : aucun enjeu de résultat. Mais une attention est portée à la mise en scène, à l’esthétique graphique des activités, et aux thématiques proposées — souvent en lien avec un matériau à ausculter. Et comme la création finale importe peu, l’artiste s’attache au travail de documentation et d’archivage photographique comme excellente manière de retranscrire aux familles le contenu des ateliers, et d’en garder une trace poétique : “c’est vraiment beau de voir l’enfant se saisir de l’art, et très émouvant par moment. On observe aussi à quel point, même des publics a priori turbulents, arrivent à se concentrer parfois une heure sur un atelier, alors qu’ils sont tout petits.”


Il est étonnant d’observer ce qu’un objet d’art peut dire aux enfants. Dépourvu de toute raison, affranchi du beau, il exprime autre chose du monde, auquel les tout-petits sont parfaitement sensibles. Et comme le prosifie joliment Sarah Mattera (directrice artistique du centre d’initiation à l’art Mille Formes à Clermont-Ferrand) : « l’éveil artistique nourrit la capacité à échanger les sens : à voir avec la peau, à écouter avec les yeux ».


— Article écrit par Louise Grossen pour Maison Gutenberg

 

 Pour aller plus loin

 

Émission la culture au berceau sur radio france 
– Rapport de Sophie Marinopoulos
– L’éveil culturel, Télérama
– Les livres d’initiation à l’art de Marie Sellier