Rencontre avec Kenia Almaraz Murillo et Elliott Causse

Kenia Almaraz Murillo et Eliott Causse, pour Maison Gutenberg
Kenia Almaraz Murillo et Eliott Causse, pour Maison Gutenberg et SYTRAL Mobilités
Kenia Almaraz Murillo et Eliott Causse, pour Maison Gutenberg et SYTRAL Mobilités

Kenia Almaraz Murillo et Elliott Causse © Nano Ville

 

Quand l’art contemporain dialogue avec l’urbanité et la tradition


En ce mois de décembre 2024, le métro lyonnais célèbre les 50 ans de mise en service du premier tronçon de la ligne C. SYTRAL Mobilités, en partenariat avec Maison Gutenberg, déploie plusieurs propositions culturelles et artistiques pour fêter cet anniversaire. Parmi celles-ci, les artistes Kenia Almaraz Murillo et Elliott Causse ont été invités à réaliser une œuvre d’art murale à la station Hôtel-de-Ville et un habillage artistique d’une rame de métro.


Kenia Almaraz Murillo et Elliott Causse, deux artistes diplômés des Beaux-Arts de Paris, fusionnent depuis 10 ans leurs univers dans des créations In situ mêlant géométrie, couleurs andines et dynamisme urbain. Dans des fresques murales pétries de symboles et de réflexions sur les flux humains et énergétiques, leur collaboration explore les frontières entre tradition textile et modernité architecturale. Cette année dans le cadre des 50 ans de la ligne C, le binôme intervient à Lyon avec un projet qui tisse des liens uniques entre l’histoire, le mouvement, et l’urbanisme. Rencontre croisée avec les artistes.


Louise GrossenVos univers artistiques dialoguent ponctuellement depuis dix ans. Que représente ce projet de fresque dans le métro lyonnais pour vous ?

 

Kenia Almaraz Murillo — Ce projet est un aboutissement. On s’est toujours dit qu’il serait incroyable d’intervenir dans un métro à deux, c’est une réflexion que l’on mène depuis longtemps. En discutant du projet avec les équipes, on s’est rendu compte de l’évidence et de la symbolique. Évidemment, le rapport au patrimoine des tisserands, au fil, qui est central à mon travail, mêlé à l’idée des flux, des réseaux, des cartographies, et à l’univers du transport qui entourent le travail d’Elliott.


Elliott Causse — On a fait beaucoup de fresques entre la Bolivie, où est née Kenia, et la France. J’avais aussi créé dans un métro en 2015 à Kyoto. J’étais invité par Tadashi Kawamata, qui m’a beaucoup apporté et qui a accompagné un virage décisif dans mon travail lié aux flux. Dix ans plus tard, on se retrouve à créer dans un métro français !


Elliott, le monde du graffiti duquel vous venez, a glissé naturellement vers celui de l’urbanisme, pourquoi ?

 

Elliott : Le livre City of Quartz de Mike Davis sur l’urbanisme à Los Angeles a été crucial. Comment l’urbanisme a été pensé pour gérer la gestion des foules, les déplacements urbains… Il y a des choses qui font échos au graffiti : la notion du déplacement dans la ville quand tu graffes, la cartographie, un geste d’écriture aussi. J’aime documenter les déplacements d’énergie, d’électricité, la plomberie m’influence aussi.


Le travail du tissage de Kenia et les créations murales d’Elliott semblent fusionner naturellement alors même que ces deux disciplines semblent plutôt éloignées…


Kenia : Elliott m’invite dans son univers de l’immersion in situ, de la peinture murale, de l’espace au niveau architectural, mental. Je sors un peu de ce rapport au métier à tisser plus contemplatif. Il y a un travail assez logistique de géométrie, de symétrie, et en même temps, un côté organique et coloré. Les couleurs vives viennent de mon univers du textile andin, des communautés boliviennes.


La technique du tissage vous a été transmise en France.

 

Kenia — J’ai été formée par l’artiste contemporaine Simone Prouvé. C’était fort comme rencontre parce que outre l’apprentissage, la transmission, elle a permis aussi de réactiver, de l’autre bout du monde, mes racines traditionnelles et familiales du tissage. Face au fil, tu as besoin de mettre de l’ordre. Il faut faire une balance entre lignes verticales et horizontales, il y a une sorte de concentration constante qui fait que tu oublies l’espace-temps. Puis je me suis prise d’obsession pour les couleurs et la géométrie du textile andin. Il y a toujours un horizon coloré avec une trame. Ici, je viens travailler à la brosse pour créer des sortes de vibrations, des fréquences. J’ai accentué un motif qui fait écho à la crémaillère particulière de la ligne C. Pour les couleurs, on retrouve le rouge de manière assez évidente sur mon travail, puis le bleu, et là, on travaille sur l’orange un peu électrique en écho aux anciennes couleurs du métro.


Le processus créatif de cette fresque rappelle la structure du palimpseste avec son empilement de lignes et de significations…

 

Elliott — On a posé la ligne horizontale avant l’arrivée de l’orange. Les deux lignes rouges renvoient aux rails. Kenia apporte une sorte de rythme cinétique par son geste, un peu comme s’il y avait des fils.

 

Kenia — Oui, une écriture. J’ai un rapport aux lignes horizontales. Je pose cette ligne comme une sorte de colonne vertébrale. Ensuite, Eliott apporte l’énergie verticale et des flux, on tisse la ligne pour écrire une sorte de langage abstrait, à la fois géométrique, contrôlé, mais en même temps futuriste et en écho aux fréquences de la lumière… On a une philosophie de création In situ qui s’adapte énormément au lieu qui est donné, à l’énergie qui se dégage des espaces.

Vous travaillez les lignes à main levée, ce qui nécessite un contrôle de la respiration, du corps. Et puis, il faut faire vite : pour cette fresque, vous devez travailler de nuit, sur les quelques heures où le métro ne circule pas.

 

Elliott — C’est une chose qui me restait du graffiti, le hand style, sorte de calligraphie aussi. Tu libères une énergie comme dans le sport. Tu te mets en condition où tu vas donner le meilleur de toi-même pendant 10 secondes. En termes de gainage physique, quand tu es sur un escabeau, il faut être en contrôle total. Mais avant d’arriver à ce geste-là, il y a tout un processus d’installation à mettre en place, puis le geste doit être précis, efficace, avant que le métro redémarre.

 

C’est aussi une façon de remettre le geste humain au centre, à l’heure où la technologie seconde de plus en plus le geste artistique ?

 

Elliott — J’ai l’impression que les gens sont parfois lassés du côté IA, robotique de l’art… Il y aurait sûrement une manière plus précise de tracer ma ligne, mais j’aime qu’il reste le geste et la vibration imprévisible de la main pour ce que l’on veut raconter.

 

Kenia — C’est une histoire de dosage. C’est l’excès qui peut faire peur. Il ne faut pas oublier la notion principale qui est de juste exister en harmonie avec ce que l’on trouve autour. Dans le tissage, il y deux énergies contradictoires entre ce que la terre donne, et ce que l’homme crée.


Vous adaptez le geste à l’histoire du lieu qui accueille votre travail.

 

Kenia — Chaque geste, même s’il est répétitif, a son propre ADN. Ça crée une sorte d’alchimie sur place. C’est fascinant comme Elliott n’a pas peur de l’espace, au contraire, il l’embrasse. Moi, dans un espace, je vais m’attacher au rapport énergétique. Quelle est l’histoire du lieu ? De quoi l’endroit est-il imprégné ?

 

Vous évoquiez le rapport cinétique. Comment intervient-il dans cette proposition artistique ? Qu’attendez-vous des passants dans leur interprétation ?

 

Kenia — Ce qu’on souhaite avant tout, c’est que les personnes se sentent bien accompagnées. C’est un espace public, on offre une petite pause ludique dans le déplacement, sans prise de tête. Il y a toujours un rapport cinétique : quand on se déplace, les lignes bougent forcément par le changement de perspective. Dans le métro, il y a un lien direct avec le flux, ça nous suffit d’être dans ce rapport-là assez simple avec les gens. Si l’envie leur prend ensuite de creuser notre travail et d’ouvrir les pistes de lecture, libre à eux.


Elliott — On a vocation à décloisonner les pratiques, à se rapprocher de l’urbanisme et de l’architecture qui inversement peuvent avoir des aspects artistiques. Dire qu’il y a les artistes qui font les tableaux dans les ateliers et qu’il y a les architectes qui font les bâtiments, c’est une réflexion peu porteuse de positivité. Il y a plein d’artistes qui  s’épanouissent dans des espaces publics. La société a énormément d’entrées pour faire de l’art.

 

Vous semblez très sensibles à la responsabilité qu’implique la création dans l’espace public. 

 

Kenia — Oui, il y a une responsabilité de ne pas laisser sa psyché d’artiste… torturée ! Créer un objet qui soit porteur de bonnes énergies pour le grand public. Il peut exister une forme de chaos dans la construction, la destruction constante. Mais notre propos personnel, c’est avant tout de partager une bienveillance à travers les lignes pour tranquillement se laisser embrasser.

 

— Interview réalisée par Louise Grossen pour Maison Gutenberg



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